lundi 25 août 2014

Enfance en guerre


"Das Kinderbuch erklärt den Krieg"

La guerre dans les livres pour enfants,

exposition de la Staatsbibliotek de Berlin au Bilderbuchmuseum 

à Troisdorf (jusqu'au 12 octobre 2014).

Albums allemands pour l'essentiel, mais aussi des titres français peu connus, et des livres d'André Hellé (La Geste héroïque des soldats de plomb, French toys, L'Alphabet de la Grande guerre, Histoire de Quillembois).

Un catalogue (en allemand) est disponible.




mercredi 13 août 2014

Hellé à l'opéra Garnier



LES BALLETS SUEDOIS

(Une compagnie d'avant-garde, 1920-1925)

Exposition présentée par la Bibliothèque nationale de France et l'Opéra national de Paris

du 11 juin 2014 au 28 septembre 2014  

Bibliothèque-Musée de l'Opéra Garnier

On peut y admirer le livret original manuscrit de la Boite à joujoux, ainsi que les costumes dessinés par Hellé pour l'adaptation de la Boite à joujoux par les Ballets suédois.  

dimanche 10 août 2014

Hellé raciste ?



A. Hellé, vignette pour la rubrique Etranger de la revue musicale SIM, vers 1914


Nous avons découvert dernièrement un article de M. Joël Jégouzo dénonçant le racisme et le colonialisme d'Etat en France (en ligne ici). Ce billet virulent est illustré d'une image et d'une seule, la vignette de couverture de La Famille Bobichon à l'exposition coloniale, d'André Hellé, publié en 1931 par Berger-Levrault (reproduit avec un titre inventé et une faute au nom de l'éditeur).




Un peu surpris qu'une illustration de l'humaniste franc-maçon Hellé soit choisie comme exemple même de stéréotype raciste, nous avons relu cet album, et réfléchi un peu au statut de l'étranger et du noir dans l'oeuvre d'Hellé. 

Tout d'abord, il n'est pas inutile de reproduire la couverture entière, puisque celle-ci est encadrée de motifs d'inspiration africaine, témoins de la vogue africaniste de l'époque Art-déco. En effet, le temps de la Croisière noire et de l'Exposition coloniale est également celui de la reconnaissance de l'art africain comme un art à part entière, singulier et inspirant, différent mais non inférieur à l'art d'Occident.




Quand on pense à ce qui s'écrivait à l'époque de l'enfance d'Hellé, on ne peut que constater un progrès radical. Voici ce que l'on pouvait lire dans un ouvrage de vulgarisation publié en 1872 :



Sur le fond, il paraît clair que l'image du "nègre" chez Hellé est proche des stéréotypes de l'époque, symbolisés par le noir rigolard de "Y'a bon Banania". Il s'agit là de publications humoristiques, destinées a être prises au second degré : c'est une forme d'art populaire, qui n'a pas le même statut ni la même portée que des proclamations politiques, des discours théoriques ou des dispositions légales. Avec le recul, elles sont extrêmement choquantes, mais, à notre connaissance, elles ne heurtaient personne à l'époque. 

Chez Hellé, comme chez la plupart des illustrateurs et auteurs jeunesse de l'époque, ces stéréotypes n'ont rien de haineux, rien de volontairement péjoratif. Bien au contraire, le "sauvage", le "nègre" et autres figures de l'altérité sont présentés comme des gens extrêmement sympathiques. 




Dans La famille Bobichon à l'exposition coloniale, le petit garçon persécuté par son père autoritaire trouve refuge chez les "nègres" de Nouvelle-Calédonie ("il fut adopté par une famille canaque", "les plus doux des hommes", qui "racontèrent au petit garçon de belles histoires de chasse, de pêche, d'animaux fabuleux"). L'Exposition coloniale est un havre face à la brutalité de la famille petite-bourgeoise de la France profonde. Le récit est donc une variation sur le mythe du bon sauvage (avec tout ce que cela implique, en positif comme en négatif). 

L'histoire se conclut sur un renversement de situation : le père  Bobichon, tombé dans le charbon, devient "nègre" lui-même, et l'auteur conclut : "Le retrouverons-nous dans quelque île perdue de l'Océanie ? Ou bien, attaché a quelque troupe vagabonde d'anthropophages de fantaisie, errera-t-il sans cesse, d'un continent à l'autre, de foire en kermesses, de festivals en expositions ?". Bref, loin d'avoir une attitude consciemment xénophobe, Hellé semble même faire preuve d'empathie à l'égard des pauvres gens exhibés dans les zoos humains. Et le personnage ridicule et négatif, dans l'histoire, ce n'est pas "le nègre", c'est le père (qui a d'ailleurs un prénom pompeux de pape : Sixte). S'il y a xénophobie dans cette affaire, c'est surtout vis-à-vis des MM. Homais de province...

Il convient également de replacer cet humour "raciste" dans son contexte historique. Or l'humour évolue, comme le reste, et il a connu des changements considérables après la Seconde guerre mondiale. Au XIXe siècle et au début du XXe on rit du "nègre" et du "sauvage". Mais on en rit comme on rit du marmiton, comme on rit des malheurs de Pierrot, comme on rit de la "grosse dame" ou du monsieur qui se prend au sérieux. L'humour de l'époque, pour adultes ou pour enfants, est tout sauf politiquement correct : il recourt à une série de stéréotypes, de personnages types (à la manière de Guignol) et il est essentiellement fondé sur la moquerie. Mais le stéréotype n'est généralement pas présenté de manière haineuse *. 

* Un exemple : Patrick Peccatte, La noirceur du petit ramoneur, http://culturevisuelle.org/dejavu/1538

On peut gloser sur la gueule ouverte de noir, entrée de l'attraction dans le dessin d'Hellé, et la trouver révulsante. Mais c'est un thème classique, qu'illustre en particulier le jeu forain du "passe-boule". Il en existe maints exemples avec différents personnages, dont des noirs : faut-il en conclure que dans ce dernier cas, et dans ce dernier uniquement, il s'agit forcément d'une représentation raciste ? De plus, le dessin d'Hellé semble plutôt se moquer de la bêtise ronflante et auto-satisfaite de M. Bobichon plutôt que du "nègre".



 
En haut : Winsor McKay, Little Nemo in Slumberland, 1905
En bas : entrée du célèbre cabaret "L'Enfer", boulevard de Clichy (non loin de chez Hellé)



De même pour les poupées reproduites ci-dessous : le noir a l'air bien ahuri, mais les autres personnages sont représentés de manière tout aussi caricaturale, et tous ont l'air plutôt bonhommes et sympathiques.



A. Hellé, Les soldats alliés, poupées en tissu (Musée du jouet, Ville de Poissy, photo R.-P. Ribière)


Jouet d'Hellé et Carlègle, Le Printemps, 1916


Hellé participe de l'esprit de son temps, avec ce que cela implique d'aveuglement et de préjugés. Mais en version gentille. Même ses dessins visant "les boches", en pleine guerre, manquent de cruauté. En tout cas ils ne sont pas plus agressifs que ceux qui se moquent des puissants, des militaires, etc. Certes Hellé n'a pas innové dans ce domaine, il n'a pas produit d'albums tels que Macao et Cosmage (Edy-Legrand, 1919), Baba Diène et Morceau-de-Sucre (Claude Aveline et Jean Bruller, 1937 *) ou Zonca, Flox et Kapok le toucan (Pol Ferjac et Henri Monier, 1943)... 



* Bruller, plus connu sous son pseudonyme de guerre (Vercors), avait illustré en 1929 un album plein de stéréotypes, Loulou chez les nègres (cf. http://bibliorecreative.canalblog.com/archives/2012/02/06/23422573.html).


Hellé  était un Français moyen qui partageait sans doute l'idéal colonialiste de la gauche modérée ; il n'a pas appelé, comme l'ont fait une poignée de Surréalistes, au boycott de la malsaine exposition de 1931. Hellé véhiculait les clichés de son temps, et d'un temps bon enfant (ou inconscient), où l'on pouvait rire de tout, fut-ce bêtement. Pour autant, prendre son oeuvre comme exemple de propagande raciste à l'égard de la jeunesse est infondé, voire idiot.

On pourrait attendre que les ennemis de la stigmatisation, avant de stigmatiser un auteur, prennent la peine d'ouvrir ses livres, et évitent de véhiculer, à leur tour, des clichés et des lieux communs, qui interdisent d'appréhender une réalité plus complexe que ne l'est sa caricature.




"Colon" - Art Baoulé (Côte d'Ivoire) - www.galerie-art-africain.com